Il y a plus d'un siècle, le 30 mai 1901, disparaissait le comte Théodore Joseph de Puymaigre. Erudit, homme politique, poète du « ruisseau fuyant dans de profondes rives, sous les saules et les roseaux » - entendez la Canner -, cette personnalité attachante restera à tout jamais liée à l’histoire du village d’Inglange, berceau de sa famille.
Sa mère, Anne Henriette, est la petite fille de Théodore François de Gargan, seigneur d’Inglange, qui a mené une brillante carrière militaire avant de se retirer sur ses terres pour y mourir en 1788, à l’âge de 85 ans, et la fille de Louis Ignace Théodore de Gargan, qui a su traverser sans encombres la période révolutionnaire, il est vrai relativement calme dans le secteur. Elle épouse Jean François Alexandre Boudet de Puymaigre, qui, malgré le poids de ses fonctions de préfet à Macon, s’occupe en personne de l’éducation de son fils, notre Théodore Joseph, né le 17 mai 1816 à Metz. Lors d’un séjour en Italie avec ses parents, le jeune Théodore, qui voyage beaucoup, se passionne pour Florence et pour Dante, qu’il étudiera et traduira en vers français.
Il revient à Inglange dans les années 1830 : c’est le début de sa vie publique. Devenu chef de bataillon de la Garde Nationale de la section de Koenigsmacker en 1837, puis conseiller municipal de son village en 1843, à la mort de son père, il manque la députation de quelques voix face à son concurrent, le comte d’Hunolstein, en 1846, ce qui ne l’empêche pas d’être élu triomphalement maire, 2 ans plus tard.
Comme ses concitoyens, il est le témoin de transformations, qui donnent à cette partie de la vallée son visage d’aujourd’hui : dans les années 1840, est entreprise la construction d’une route – l’actuelle D2 – de Kédange à Koenigsmacker, destinée à remplacer les chemins en mauvais état qui reliaient les villages les uns aux autres, et dont le tracé provoque la colère des habitants d’Elzange et d’Inglange, qui craignent l’isolement, la nouvelle voie empruntant la rive droite de la « Kaner » ; parallèlement, à Inglange, un nouvel axe est ouvert vers Distroff ; les bâtiments ne sont pas de reste : construction d’une nouvelle maison d’école en 1835, d’un clocher en 1847.
Mais la roue politique tourne : suite au coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte, le comte de Puymaigre est suspendu de ses fonctions de maire le 14 novembre 1852, puis destitué à la proclamation de l’Empire. Il continue néanmoins à œuvrer pour le bien public : lors de la création de l’école des filles en 1860, il met gratuitement une de ses maisons à la disposition de la commune.
Dès lors, il s’engage entièrement dans la littérature, qu’il n’a du reste jamais abandonnée : il compose recueils de poèmes et pièces de théâtre, il propose des études très fouillées sur la littérature étrangère, notamment espagnole, puis sur le folklore lorrain, dont il recueille patiemment les chansons populaires, il collabore activement aux publications régionales, comme la revue « l’Austrasie », dont il est l’un des membres fondateurs et dans laquelle il publie des articles touchant tous les domaines, sans oublier la défense de ses confrères dans le besoin (voit encadré). Cette activité débordante lui vaut d’être accueilli dans plusieurs sociétés savantes : Metz, Luxembourg, Nice, Lyon …
Il faut dire que, par patriotisme, il a quitté avec sa famille la Moselle annexée en 1871, pour s’installer à Paris. Ses poèmes traduisent néanmoins, malgré les tentatives d’oubli par le travail et les voyages, une profonde nostalgie de la « contrée entre toutes chérie où [il] avait si longtemps vécu ». Voici, en guise de conclusion, les vers où il évoque la douloureuse séparation avec son cher village d’Inglange :
M’arrêtant, un soupir s’exhala de mes lèvres,
Et je considérais d’un regard triste et long
Au-dessous de mes pieds tout ce charmant vallon,
Ses prés, ses gais moulins bordés par des saussaies,
Ses hameaux entourés de jardins et de haies,
Ses coteaux, ses forêts, fuyant à l’horizon,
Ses vignes, ses chemins au talus de gazon.
Durant les 20 dernières années de sa vie, Lamartine (1790 – 1869) est en proie à de graves difficultés financières, qui émeuvent ses admirateurs ; Voici des extraits d’une lettre que le comte de Puymaigre a envoyé à la revue « L’Austrasie » pour promouvoir une souscription en faveur du grand poète national :
A M. l’administrateur-gérant de l’Austrasie
Monsieur, […]M. de Lamartine n’a pu conjurer les cruels événements qui le menaçaient ; une souscription est devenue nécessaire, elle a été ouverte sur divers points. Il me semble, Monsieur, que l’Austrasie pourrait suivre l’exemple qui a été ainsi donné. Elle le pourrait d’autant mieux, qu’elle se tient à l’écart de tous les partis, qu’elle est un terrain neutre […] Il y a en M. de Lamartine deux hommes : l’homme politique et le poète. Le premier, illustre orateur […] ne peut être l’homme de tous ses contemporains, – il est à l’histoire. Le second appartient à la France entière par la gloire qu’il lui a donnée […]. Souhaitons donc que l’on refasse au poète des loisirs qui seront si magnifiquement occupés et si vous voulez bien associons-nous à l’œuvre de reconnaissance qui a été entreprise. Agréer, Monsieur, etc… Comte de Puymaigre Metz, le 20 juin 1858
La réponse de l’administrateur ne se fait pas attendre :
Nous publions avec empressement la lettre de l’honorable M. de Puymaigre […] ; nous remercions notre honorable collaborateur de sa généreuse initiative, et nous y répondons en ouvrant dans nos bureaux, en faveur de M. de Lamartine, une souscription dont nous publions dès aujourd’hui la première liste :
Le comte de Puymaigre : 100 F
Le baron de Gargan : 50 F
CH. De Gargan : 50 F