En essayant de reconstituer la généalogie du propriétaire du moulin bas de Buding au XVIIIème siècle, nous sommes tombés sur un personnage suffisamment intéressant pour qu’on s’y attarde un peu : Nicolas Fick, notaire royal, qui épouse, le 29 avril 1745, une des filles dudit « marchand huilier".
Qu’est-ce qu’un notaire royal ?
Comme pour tout ce qui touche l’organisation politique, judiciaire et administrative de l’Ancien Régime, la fonction de notaire royal est très variable suivant les époques et les lieux. Pour simplifier, disons qu’il s’agit d’une charge dont les racines lointaines plongent dans le Moyen Age, à un moment où les scribes, investis d’une autorité morale par le simple fait qu’ils savaient écrire, furent peu à peu remplacés par des « notaires » – aussi appelés « garde-notes » -, dont le but était d’authentifier des actes et contrats privés. Cette charge devient un office – c’est-à-dire une délégation partielle de l’autorité royale – en 1542, date à laquelle François Ier reconnaît officiellement le titre de notaire royal. Pour y accéder il faut pratiquer la religion catholique, être âgé de 25 ans et avoir subi une enquête de mœurs. Comme il est possible d’acheter la charge et qu’elle amène à une situation de notable, elle constitue un puissant ascenseur social. Mais n’allons pas trop vite en besogne ; là aussi les disparités existent : il n’y a rien de commun entre les notaires parisiens en route vers l’anoblissement et notre Nicolas Fick exerçant ses compétences à la campagne, dans le cadre du baillage de Thionville.
Qui est Nicolas Fick ?
Nous pouvons connaître le personnage essentiellement par les actes qu’il a dressés et qui atteignent le nombre impressionnant d’environ 16000, de 1740 à 1791, date de sa mort, soit une moyenne de 300 par année, mais aussi par les registres paroissiaux et documents divers. Ces derniers nous apprennent qu’il s’est marié en 1745 – 2ème mariage après la mort de sa première femme – avec Anne Birck, une des filles de Nicolas Birck, huilier à Buding. 13 enfants sont nés de cette union ; ce nombre n’est pas exceptionnel à une époque où la mortalité infantile était très forte. Arrêtons-nous un instant sur deux d’entre eux :
André-Nicolas naît en 1753. C’est lui qui rachètera en 1791 l’étude de son père et, en homme ayant de fortes convictions religieuses, il sera un des artisans les plus dynamiques de la mise en place de la paroisse de Buding et de l’édification de la nouvelle église destinée à remplacer l’ancienne chapelle ; il mourra malheureusement juste avant qu’elle ne soit achevée, en 1822.
L’acte de baptême de Marie-Eve, en date du 15 août 1758, révèle que le parrain est un des fils de François Tailleur, officier seigneurial qui supervise l’administration de la seigneurie de Bousbach, et la marraine une demoiselle Eve Brouck, fille de bourgeois du Luxembourg, ce qui atteste le niveau social relativement élevé dans lequel évolue la famille.
Nicolas Fick a vécu les premières années de la Révolution : il appose sa signature au bas du cahier de doléances de Buding, lors de l’assemblée du 8 mars 1789 ; le dernier acte, daté du 8 octobre 1791, fait encore apparaître le titre de notaire « royal », mais hésite entre les formules de « baillage », « district », « tribunal du baillage », autant de signes d’un entre-deux historique qui hésite entre passé et avenir.
Comment travaille un notaire ?
Le notaire travaille beaucoup chez lui, les gens venant le voir, mais très souvent, surtout s’il officie dans un village voisin, il arpente la campagne, armé d’une écritoire, de papier, de plumes, d’encre qu’il fabrique lui-même, pour consigner des tractations de tout genre, recueillir les dernières volontés d’un défunt… Les actes, comme l’attestent ceux de Nicolas Fick, sont toujours rédigés dans une écriture fine, serrée – ce qui ne l’empêche pas d’être très soignée et minutieuse -, destinée avant tout à économiser le papier, et sont, le plus souvent, rétribués en nature (œufs, lard, …). Prenons un exemple précis.
Le 18 décembre 1741, il se transporte à Klang pour consigner le testament de Mathis Schmidt, le meunier du lieu : « Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Par devant moi, notaire royal établi à Thionville, résidant à Buding, soussigné, étant à présent au moulin de Klang, en présence des témoins ci-après nommés et soussignés, fut présent en personne Mathis Scmidt, meunier demeurant audit moulin de Klang dans le poele [c’est-à-dire : la pièce chauffée par un poêle] de son corps de logis du moulin, gisant au lit, malade de corps, néanmoins sain d’esprit, mémoire, jugement, entendement, ainsi qu’il a paru à moi notaire et dits témoins, par ses paroles, gestes et maintien, lequel dans le vue de la mort […]. » Après cette véritable scène de genre et avant de faire part de ses dernières volontés terrestres, le mourant s’adresse à Dieu, ce qui montre la vitalité de la foi religieuse, qui imprégnait à cette époque tous les actes de la vie, du berceau à la tombe, au point d’être intégrée dans un acte notarial : « Premièrement, comme chrétien catholique, apostolique et romain [Mathis Schmidt] a recommandé son âme à Dieu, suppliant très humblement la Divine Majesté de lui faire miséricorde et de lui pardonner ses péchés […] ».
Il ne s’agit donc pas là d’un travail de tout repos, mais il permet à Nicolas Fick, comme tout notaire, même s’il exerce à la campagne, d’avoir une place en vue au village : le statut de celui qui sait écrire n’est sans doute pas étranger à cette situation ; de plus, sa fonction le place au centre de tous les échanges et de toutes les affaires de famille. En effet, il gère les actes les plus divers : tout ce qui concerne les transactions (vente, échanges, baux, …), tout ce qui concerne le crédit (obligations, quittances, rentes, …), tout ce qui concerne la vie familiale (mariages, conventions entre époux, testaments, …), … En cela, les actes que lui-même et ses confrères nous ont laissés constituent un inestimable trésor pour ceux qui s’intéressent à l’histoire locale.