Jean-Baptiste Vagner naît à Buding en 1861. Enfant d’une famille catholique très pieuse, il se destine à la prêtrise et entre au séminaire de Metz. Après ses études, il est nommé vicaire à Ars sur Moselle. On le retrouve ensuite à Hargarten avant qu’il ne soit promu archiprêtre de Volmunster en 1898. En 1904 il vient exercer ses fonctions à Thionville. Le personnage évoqué dans cet article a laissé dans l’Histoire locale le souvenir d’un homme courageux et ferme dans ses convictions. Il a paru légitime d’en évoquer la mémoire, d’autant qu’il a vu le jour dans la vallée de la Canner.
Le contexte socio-politique
La Moselle annexée, par les Prussiens depuis le Traité de Francfort du 10 mai 1871, subit une germanisation jusque-là progressive mais qui va se durcir dès les premières années du XXème siècle. Car l’occupant sent qu’il a du mal à atteindre son but. Même si les « indigènes », comme les appelaient les Allemands, se sentent abandonnés par la France, ces Mosellans de souche conservent en leur sein de nombreux patriotes francophiles. Beaucoup font leur la formule née après l’annexion : »Français ne peux, Allemand ne veux, Lorrain je suis. » Cependant, en mai 1911 les trois départements d’Alsace-Moselle se voient dotés d’une nouvelle constitution qui renforce leur rattachement au Reich.
Le patriotisme pro-français apparaît évident en octobre 1908, à Noisseville où 80000 personnes assistent à l’inauguration du monument aux morts du Souvenir Français. En 1912 on ne compte pas moins de 102 comités locaux de cette association en Moselle. Trois ans plus tôt, en novembre 1909 un cafetier thionvillois, Eugène Guerder, né à Kemplich en 1879, crée le comité du Souvenir Français de sa ville. Ce ne sera pas sans conséquences pour lui puisque les Allemands organiseront le boycott de son établissement situé rue du Mersch.
Si le sentiment patriotique est bien réel, il ne faudrait cependant pas lui donner plus d’importance qu’il n’en a eu, du moins d’un point de vue quantitatif. N’oublions pas qu’en 1914 la moitié de la population du Pays Thionvillois est d’origine allemande. La même proportion se retrouve à Thionville intra-muros. Si on tient compte de tous ceux qui se sont résignés ou adaptés, les récalcitrants à l’annexion ne constituent pas une forte majorité. Mais dans le contexte général de l’époque, le chiffre de 312 membres à l’assemblée du Souvenir Français thionvillois du 31 octobre 1909 peut sans doute être considéré comme assez honorable. Par comparaison, les habitants d’origine lorraine sont à peu près 6500 sur un total de 14000 personnes recensées à Thionville.
Sous l’expression « contexte général de l’époque » il ne faut pas seulement considérer la crainte que peuvent inspirer les autorités et qui jouerait un rôle freinateur dans l’adhésion à une association francophile. Il y a aussi l’aspect économique dont il faut bien reconnaitre qu’il est plutôt favorable. Les Allemands développent une sidérurgie florissante (usines Roeschling à Beauregard) créatrice d’emplois. Avec la construction de la gare en 1878 le trafic ferroviaire s’est grandement amélioré. Les revenus du monde agricole sont en augmentation et meilleurs que ceux de la Lorraine restée française. A partir de 1912 l’administration lance un programme d’électrification des communes. Quant à la ville-centre, Thionville, elle s’agrandit, s’embellit et se modernise grâce à Joseph Stübben, un architecte urbaniste de réputation internationale. Face à ces progrès, des Mosellans de souche expriment une certaine reconnaissance à ce bon Kaiser Guillaume.
Arrive la guerre 1914-1918. Un gouverneur militaire protestant s’installe à Thionville en 1915 : von Lochow. L’armée a les pleins pouvoirs et le nouveau patron de la ville déteste le clergé catholique.
Vagner et l’occupant.
Jean-Baptiste Vagner, reconnu par son entourage comme étant d’une grande intelligence ne s’embarrasse pas de diplomatie. Il n’aime pas les Allemands et ne s’en cache pas, surtout lorsque ceux-ci veulent fourrer leur nez dans les affaires paroissiales. En 1907 il crée un journal : le « Diedenhofener Zeitung » dont la ligne éditoriale tranche singulièrement avec la presse allemande locale et sa propagande. Et en 1909 il adhère sans hésitation au projet d’Eugène Guerder et devient un des membres fondateurs du Souvenir Français à Thionville. Cette section, comme toutes celles du département, sera dissoute par les autorités le 23 janvier 1913.
Avec l’entrée en guerre arrive le temps de la germanisation à outrance. Parler français en public est puni d’emprisonnement et lors des offices, les sermons doivent aussi être prononcés en langue tudesque. L’Evêché proteste contre cette obligation et, l’archiprêtre qui se sent soutenu par sa hiérarchie, n’en a cure. C’est un Résistant sans arme qui, fidèle à ses sentiments, refuse de demander à ses fidèles de prier pour la victoire du Reich Cela irrite ses paroissiens d’origine allemande et Henri Berkenheier, maire catholique de Thionville, ne supporte plus le prêtre. Les protestations se multiplient auprès de von Lochow. Sans se soucier des réactions, Vagner a même fait en sorte que ses enfants de chœur soient habillés de blanc, de bleu et de rouge. Ses adversaires exaspérés décident sa mise en résidence surveillée à Buding. En septembre 1915 il rejoint son village natal et ne retrouvera ses fonctions que le 22 novembre 1918, jour de l’arrivée des troupes françaises à Thionville. Son vicaire Valentiny le remplace à St Maximin et les directives épiscopales qu’il reçoit lui demandent d’essayer de conserver la même attitude que celle de son supérieur. Celui-ci d’ailleurs ne sera pas totalement coupé de sa paroisse dont il recevra régulièrement des nouvelles. Constatons au passage que Vagner est relativement chanceux car la mise à l’écart des insoumis consistait plus souvent en un enferment dans la forteresse de Ehrenbreitstein, près de Coblence, avant un placement en résidence surveillée dans une ville allemande. Ce sera le sort d’environ 200 personnes en Moselle dont une vingtaine de Thionvillois.
En 1918 Jean-Baptiste Vagner est de retour dans sa ville où il exercera son ministère jusqu’au début de la deuxième guerre mondiale. « Lorsque je fus nommé curé de Thionville, il y a quatorze ans, je trouvai dans les combles du presbytère un drapeau enroulé autour de sa hampe. C’était un drapeau français que s’étaient transmis tous mes prédécesseurs depuis 1870 et qu’ils avaient mis en sureté en attendant des jours meilleurs. Lorsque l’occupant m’obligea à quitter ma paroisse, il y a trois ans, le drapeau était encore intact .A mon retour mon premier souci fut d’aller voir ce qu’il était devenu : hélas, il avait été arraché de sa hampe, déchiré et il gisait dans la poussière, mais il était là. Aujourd’hui il flotte sur le presbytère et si vous passez par-là vous pouvez voir le drapeau français religieusement conservé pendant quarante-huit ans par les curés de Thionville. »
L’enfant de Buding devient une référence morale pour les thionvillois et est décoré de la Légion d’Honneur.
En mai 1940, à l’arrivée des Allemands, Vagner est évacué en Charente Maritime. Rentré à Thionville début août, il en est expulsé le 16 du même mois et se retrouve en région lyonnaise. Il a été repéré par les nouveaux maîtres qui ont consulté le « Livre d’Or du Souvenir Français » écrit par Jean-Pierre Jean en 1929. Ils y ont trouvé une liste assez complète de patriotes indésirables à leurs yeux.
1943. Jean-Baptiste Vagner était de longue date de santé fragile. Il sent que son état physique décline et rejoint sa famille réfugiée en Saône et Loire. Il est hospitalisé à Mâcon et y décède le 10 mars. Des obsèques solennelles seront célébrées à Thionville le 26 septembre 1946.
Quant au Souvenir Français auquel il se sera largement consacré, il reprendra vie après le 8 mai 1945. Ainsi à Koenigsmacker, par exemple, les représentants locaux de l’association tiendront leur première réunion le 3 novembre de la même année. En mars 1946 elle comptera 75 adhérents et poursuivra sa progression pour arriver, sous la présidence d’Edmond Schmitt, à 138 membres en 1952.
Le drapeau du Souvenir Français est toujours présent de nos jours lors des cérémonies commémoratives.